Depuis des années, on entend qu’Amazon, la société américaine, devenue un mastodonte du commerce en ligne, est un monstre qui met en péril « la chaîne du livre », entre autres en France.
Un des membres fondateurs de l’association « Ateliers Première Ligne » donne son avis sous l’angle des auteurs.
Note : Cet article reflète uniquement les opinions de son auteur et pas nécessairement celles de l’association.
Qui est Amazon ?
Pour l’anecdote, Amazon a démarré dans l’expédition de livres, avant d’étendre son influence sur tous types de produits. Aujourd’hui, son catalogue est impressionnant. Amazon vend selon 3 méthodes :
- Distributeur. Le site signe des accords de distribution avec des fabricants pour proposer leurs produits sur son site. Ses énormes volumes écoulés lui permettent d’avoir des prix grossistes imbattables.
- Vendeur de sa marque propre. Amazon sous-traite la fabrication d’un certain nombre de produits, vendus sous la marque Amazon Basic. Par exemple : des piles rechargeables, des petits meubles, etc.
- Amazon Market Place. La possibilité pour des commerçants d’utiliser la visibilité du site Amazon pour vendre (contre commission) leur marchandise. Amazon leur impose une gestion des retours généreuse pour les clients et met à disposition sa redoutable chaîne logistique (entrepôt et livraison).
Son influence dans le monde de l’édition est importante.
La face sombre du géant
Tirant les coûts, en particulier pour la livraison, Amazon est un acteur important de l’économie des petits boulots, qui épuise ses salariés (dans les entrepôts) et exploite ses livreurs. Sa volonté de réduire les coûts le pousse à une automatisation de ses entrepôts (en remplaçant les employés par des robots) et de ses livraisons (en remplaçant les livreurs par des drones).
Les commerçants qui passent par sa market-place sont espionnés. Ainsi Amazon surveille que les prix proposés sur son site sont les meilleurs du Web. Si un produit proposé par un commerçant marche bien sur Amazon… le géant américain le copie et le propose sous sa marque avec des prix plus bas.
Face aux éditeurs
Dans cette course effrénée à la réduction des coûts, les intermédiaires sont priés de réduire leur marge. Les éditeurs et les distributeurs n’échappent pas à cette règle. Les renégociations sont autant d’occasions de se plaindre publiquement du géant qui veut faire disparaître les indépendants !
Les auteurs en France
Dans la fameuse « chaîne du livre », les auteurs sont les plus mal représentés, et les plus précaires. Pour information, voici un schéma simplifié de cette chaîne, de l’auteur au lecteur.
Qui représente les auteurs ?
La Société des Gens de Lettres n’accepte que les auteurs édités par des éditeurs. Pas de place pour les auto-édités ni pour les auteurs débutants. Notons l’initiative des illustrateurs de bandes dessinées de se regrouper pour faire entendre leur voix. Le conseil permanent des écrivains, qui ne rassemble que des groupements dans lesquels les auteurs sont présents, confond les intérêts des libraires avec ceux des éditeurs et des distributeurs. Des livres disponibles partout, sans exclusivité, avec des tarifs de livraisons bas, n’est-ce pas à l’avantage de l’auteur et du lecteur ?
Précaires
Mal représentés, la majorité des auteurs qui veulent vivre de leur plume émargent au RSA. En France, on estimerait que seuls 3 % des auteurs vivent vraiment de leur plume. Souvent, ils sont obligés d’avoir un autre métier qui assure leur quotidien. On croise au mieux des traducteurs, des correcteurs, des professeurs. Je m’interroge toujours sur les conflits d’intérêts quand certains auteurs sont journalistes, bibliothécaires, ou critiques littéraires, quand ils n’ont pas des responsabilités chez un éditeur (directeur de collection par exemple).
Il faut un minimum de droits d’auteurs pour prétendre aux prestations sociales spécifiques de la profession (6 600 EUR par an). Par contre, les cotisations commencent dès le premier euro perçu !
Fiscalement, le régime des droits d’auteurs est plus avantageux que les salaires. Est-ce pour cela que les éditeurs rémunèrent leurs plus hauts salariés (directeurs de collection)… en droit d’auteur ? Les correcteurs et autres traducteurs, eux, sont priés de passer en autoentrepreneurs.
Les relations avec les éditeurs dégradées
Les exemples plus ou moins récents abondent d’auteurs qui se sentent maltraités, oubliés par leur éditeur. Certains attendent depuis des années leur relevé annuel.
Le 8e baromètre de 2020 de la Société des Gens De Lettres dénonce, très poliment, des rapports de force avec les éditeurs toujours plus en défaveur des auteurs. Par exemple, 47% des auteurs doivent assurer eux-même la promotion de leur ouvrage sur les réseaux sociaux.
Comparaison pour les livres imprimés
Comparons les services apportés par un éditeur classique avec ceux d’Amazon. Mettons-nous dans le cas d’un auteur qui a réussi à signer un contrat d’édition face à un auteur qui va assurer lui-même son édition sur Amazon.
Note : je n’inclus pas dans ce tableau les maisons d’édition « à compte d’auteur » que je déconseille complètement. Les témoignages (et mon expérience personnelle) vont dans notre sens.
Éditeur classique | Auto-édité chez Amazon | |
---|---|---|
Temps de réalisation (entre le manuscrit final et la mise en vente) | Entre trois semaines et dix mois | Immédiat |
Sujet du livre | Doit correspondre à la politique éditoriale ou du propriétaire de la maison d’édition | Libre |
Prix du livre | Imposé. Généralement à 19 EUR | Entre 6 EUR et 250 EUR |
Taux revenant à l’auteur | 8% généralement pour un livre à 19 EUR 3% pour les formats poche | 40% pour un livre à 19 EUR 15% pour un livre à 8 EUR |
Paiement à l’auteur | En théorie : une fois par an. Certains auteurs se plaignent de ne rien avoir reçu de leur éditeur depuis plusieurs années. | Tous les mois |
Fiscalité | Droits d’auteur | Bénéfices Non Commerciaux |
Relecture | Professionnelle | Au soin de l’auteur |
Couverture | Gérée par l’éditeur | Au soin de l’auteur |
Promotion | Incertaine | Au soin de l’auteur |
Les e-books
Impossible de battre Amazon et son programme KDP. Par charité, nous ne dirons rien sur les éditeurs qui ont longtemps laissé de côté les liseuses. Ils ne baissent les prix « que » de 25 % par rapport au livre papier. Ce sont les mêmes maisons d’édition qui ne comprennent pas pourquoi le format électronique des livres ne se vend pas mieux !
Ce n’est pas un hasard si les meilleures ventes d’e-books sur Amazon sont des auteurs auto-publiés !
Conclusion
Que penser du rôle d’Amazon dans l’édition ? Amazon s’est introduite dans cette chaîne du livre, entre le distributeur et le consommateur avec la brutalité et l’efficacité qu’on lui connaît.
Le géant américain a su rendre très facile l’achat de livres. Ses recommandations, renforcées par les évaluations des lecteurs, rendent des services qui viennent directement concurrencer les librairies. Le législateur a su protéger « la petite librairie de centre-ville », principalement avec la loi Lang sur le prix unique du livre. Remontant la chaîne de valeur, Amazon menace les éditeurs à leur tour, en s’attaquant à leurs points faibles : le service aux « petits » auteurs et le numérique.
Amazon rémunère mieux les auteurs, en leur laissant les tâches ingrates de préparation de leur livre (correction, mise en page, couverture). Le géant américain est excellent sur le numérique, et maîtrise parfaitement l’impression à la demande. Exactement ce qu’il faut à des auteurs débutants qui savent se débrouiller un minimum dans les tâches techniques et l’autopromotion !
Amazon est méchant, certes, mais pas autant que les « grands » éditeurs envers leurs auteurs !
Manuel, cofondateur d’Ateliers Première Ligne