En octobre 2023, la loi Darcos a imposé de nouvelles règles en matière de frais de port pour les livres neufs expédiés en France. Cette mesure législative, destinée à équilibrer la concurrence entre les librairies en ligne et les librairies physiques, a déclenché une série de débats et de réactions variées. Quel est l’impact réel de cette loi sur les frais de port sur la dynamique de l’industrie du livre ? Dans cet article, nous décryptons les différents aspects de cette loi et nous en évaluons ses effets pour chaque acteur du marché du livre en France.
Contexte et objectifs de la loi
Baptisée « Loi Darcos », du nom du ministre de la Culture de l’époque, cette réglementation visait à mieux contrecarrer la stratégie des frais de port à un centime d’Amazon. Ses concurrents directs, la Fnac et Cultura ont suivi la même tarification. L’idée était simple : instaurer un tarif minimum pour les frais de port, pour assurer une concurrence plus juste entre les vendeurs. Cependant, cette manœuvre législative, bien qu’ambitieuse, a soulevé des critiques diverses.
Seuil d’achat et frais de port
Cette loi instaure un seuil d’achat minimum de 35 EUR pour que le port soit offert. Pour les commandes inférieures à ce montant, les frais de port doivent être au minimum de 3 EUR. Les consommateurs doivent donc s’acquitter de frais supplémentaires pour la livraison de leurs livres, une contrainte qui change considérablement la donne pour les achats en ligne.
Les auteurs et les petits éditeurs, grands perdants
Maillon le plus mal rémunéré de la chaîne du livre, beaucoup d’auteurs se sont tournés vers Amazon ou vers la FNAC pour proposer leurs œuvres en impression à la demande. Ils sont alors auteurs autoédités.
Les librairies indépendantes ne prennent jamais de commande de livres distribués uniquement par Amazon ou la FNAC. Il faut donc forcément passer par ces sites de vente en ligne. Mais quel acheteur aurait envie d’ajouter à un achat d’un livre d’un auteur autoédité 3 EUR de plus ? Faudrait-il acheter chaque fois au moins 3 livres (à 12 EUR par exemple) d’auteurs indépendants ? De tels auteurs n’ont pas suffisamment de livres à vendre.
Les petits éditeurs, qui sortent quelques références par an, préfèrent confier leur logistique à Amazon aussi. Ils sont donc exclus des commandes des libraires. Leurs ventes vont baisser chez Amazon. S’ils veulent conserver leurs ventes à chaque sortie de livre, comment vont-ils faire pour se rendre disponibles en librairie ? Vont-ils pouvoir changer de distributeur, gérer des stocks ?
Les acheteurs ruraux à la peine
Les lecteurs dans les villages éloignés des librairies sont particulièrement touchés par les effets de cette loi. La livraison fait augmenter le prix du livre. Les voilà désormais obligés de payer plus cher, ou de se rendre plusieurs fois (pour commander, puis pour aller chercher leur commande) chez leur libraire.
Les librairies locales ont moins de références disponibles, leurs locaux ne sont pas extensibles. Elles ne prennent pas toujours les commandes pour des petits éditeurs (leurs distributeurs peuvent exiger une commande minimum), même non distribués par Amazon ou la FNAC.
Prix, coût, temps de transports, les acheteurs ruraux essayeront d’optimiser encore plus leurs déplacements, par exemple en achetant leurs livres quand ils vont faire leurs courses en supermarchés. La diversité culturelle est perdante. Les librairies indépendantes ne sont pas gagnantes non plus.
Les librairies de centre-ville, gagnantes ?
Nous avons vu que les petites librairies ne vont pas gagner de nouveaux clients, les acheteurs ruraux préféreront soit payer les frais de port, soit acheter les best-sellers en supermarchés.
Reste les librairies de centre-ville, hier ignorées des acheteurs voisins de sites en ligne. Pour éviter les frais de port, peut-être ces citadins iront-ils jusqu’à leur librairie locale, plutôt que de chercher dans leur boîte aux lettres leur colis. Ce sera un effet bénéfique de la loi sur les frais de port minimum.
FNAC et Cultura sont emballés
La loi ne change rien pour les enseignes qui disposent d’un site Web de vente en ligne ainsi que de magasins où stocker leurs commandes en attendant le retrait des acheteurs. Ce sera toujours un centime pour aller chercher ses livres.
Les lecteurs pourront toujours commander des livres à l’unité sans frais de port, mais se déplaceront en magasin. Toutes les FNAC ou tous les magasins Cultura ne sont pas en centre-ville, loin de là. Ceci va-t-il dans le sens de la sauvegarde de la petite librairie ?
Et Amazon ramasse la mise !
Visé par la loi, le géant de la vente en ligne va connaître une diminution des petites commandes (un à trois livres neufs). Mais les effets de cette loi sur les habitudes des acheteurs vont favoriser Amazon sur le long terme.
Achats plus importants
Pour économiser les frais de port, la loi Darcos incite le consommateur à acheter des livres en plus grande quantité, jusqu’à un montant de 35 EUR. Le nombre de livres par commande va augmenter. Amazon augmente ses bénéfices par commande.
Le transport devient plus rentable
Si l’acheteur persiste à commander moins de 35 EUR de livres, la filiale de transport, au lieu de recevoir 1 centime pour livrer, va être payée 3 EUR pour le même colis !
Report sur l’e-book
Dernière stratégie pour l’acheteur qui ne voudrait plus payer de frais de port, passer par le livre au format électronique. Véritable « vache à lait » pour Amazon, les livres électroniques et les liseuses associées vont connaître un essor. L’e-book restera le seul moyen où trouver les auteurs autoédités et les petites maisons d’édition.
Le livre d’occasion en embuscade
Dernier acteur de la chaîne du livre, de grands noms commencent à se développer. Sur leur site, les frais de port sont offerts à partir de 20 EUR d’achat, soit en dessous des 35 EUR des livres neufs. Encore une raison de passer par ces sites. Ces vendeurs sont d’ailleurs présents sur la MarketPlace d’Amazon. Le report sur les livres d’occasion bénéficie aussi au géant de la vente en ligne, qui prend une commission à chaque vente !
D’ailleurs, les éditeurs (au nom des auteurs évidemment !) demandent depuis plusieurs années une taxe supplémentaire sur la vente de livres d’occasion. Leurs arguments manquent de netteté. Difficile pour l’observateur de ne pas y voir simplement une demande de taxation de la concurrence.
Bilan de la loi sur les frais de port pour livres neufs
Nous avons vu que la loi Darcos touche tous les acteurs du monde de l’édition. Le changement des habitudes d’achat de livres neufs impacte différemment les auteurs, les éditeurs, les librairies, les acheteurs ruraux, les acheteurs urbains et Amazon.
Malheureusement, cette loi dont l’objectif louable était de pénaliser Amazon face aux libraires pénalise surtout les auteurs et les petits éditeurs face aux grands éditeurs. Les acheteurs ruraux sont les grands perdants. Amazon gagne sur le front de la rentabilité, car c’est un acteur intégré de la chaîne du livre qui va capter les frais de port payés par les clients.
La diversité culturelle et l’accessibilité au livre sont sacrifiées. Il nous semble donc urgent d’évaluer les effets de la loi Darcos afin de la modifier en profondeur.
En conclusion, la loi sur les frais de port pour les livres neufs est un exemple frappant des dynamiques complexes du marché du livre. Elle souligne l’importance d’une approche équilibrée et réfléchie, qui valorise la diversité culturelle et garantit l’accès au livre pour tous. Notre association reste un observateur engagé de ces évènements. Nous sommes collectivement créateurs de textes et éditeurs (de recueil de nouvelles). Nous serons attentifs aux développements futurs et aux efforts collaboratifs qui façonneront le paysage du livre en France.